Il est des oiseaux de proie que l'on ne s'attend pas à trouver sur une côte battue par la houle d'Ouest, et encore moins directement sur les flots. Ainsi en est-il de l'épervier, plutôt familier des prés, des haies et des bosquets.

Et pourtant, ce n'est pas le goéland que
Pellerin a choisi pour désigner le héros de sa série de bandes dessinées, mais bien l'épervier.
Épervier, même, avec un É majuscule. C'est ainsi qu'est surnommé Yann de Kermeur, breton (comme son nom l'indique) et corsaire (aurait-il pu en être autrement pour un aventurier breton de ce presque-mitan du XVIIIe siècle ?).
Un corsaire, des navires, un héros chevaleresque, de sombres secrets, il y a, dans cette série, de quoi me séduire a priori. Et pourtant, il m'a fallu quelque temps pour qu'elle me séduise vraiment. Cela n'a pas été le coup de foudre, plutôt une sorte d'affection construite peu à peu, au fil des pages, au fur et à mesure de la découverte.
Pourquoi ai-je donc été plutôt tiède au début ? Probablement parce que l'ouverture de cette série se fait sur des bases si classiques qu'elle en devient trop classique : le héros recueille les derniers mots d'un mourant, est accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis, est victime des manigances du vrai coupable, etc. Bref, une impression très claire de déjà vu, déjà lu. Le dessin et les couleurs étant d'un grand classicisme eux aussi, il n'y a pas vraiment d'élément qui ait réussi à me surprendre.

Fort heureusement, le récit prend un peu de profondeur, au cours des tomes, même si les péripéties sont parfois tirées par les cheveux, avec des rebondissements presque artificiels. Presque du
Fajardie, oserais-je dire (au risque de voir arriver, rapière en main,
Andromède qui me jettera son gant pour m'être laissé aller à cette pique-clin-d'oeil). Par moments, j'ai l'impression que Pellerin se laisse prendre à son plaisir de dessiner, que ce soit les scènes maritimes ou les vues terrestres, et que l'intrigue en passe au second plan ; un risque qu'il évoque, d'ailleurs, dans
une interview.
En matière de BD, je suis pourtant à l'aise dans la facture classique, ayant été en partie nourri de la collection « Vécu » de chez Glénat. Mais il manque à cet Épervier une petite touche de différence, de force, d'audace, peut-être. Sans aller jusqu'au trait de Marini pour le Scorpion, il y avait peut-être de l'espace pour un peu plus d'originalité. Évidemment, se lancer dans un scénario à forte connotation maritime dix-huitiémiste, c'est prendre le risque de la comparaison avec
Les passagers du vent de Bourgeon,
un sommet (LE sommet ?) du genre à ce jour.
Toutefois, le fait qu'il y ait des sommets, des virtuoses, ne doit pas empêcher qui que ce soit de tenter d'ouvrir sa propre voie. Pellerin a ouvert la sienne, et je ne boude tout de même pas mon plaisir. S'il lui manque un petit grain de folie, cette série ne mérite pas qu'on lui tourne le dos.

Le livre que je trouve presque le plus intéressant est celui qui ne fait pas partie de la série à proprement parler. Les archives secrètes nous dévoilent ce que les albums de la série laissent entrevoir ou deviner, ce qui a façonné l'Épervier.
Alors, suivez l'Épervier, et profitez du voyage.
* * * * *
Pour aller plus loin dans la découverte du style graphique de Pellerin pour cette série L'Epervier : quelques ex-libris et une série de croquis, et le livre Sur la dunette avec Pellerin qui explique plus largement son travail.
* * * * *
PS : si j'ai adressé une petite pique souriante dans ce billet à Andromède, je me dois de préciser que c'est elle qui, par un amical « coup de coude » - selon ses propres termes -, m'a fait remarquer que je n'avais rien dit, jusque là, de cette série dans mes colonnes. Ce billet est, d'une certaine manière, un remerciement.