jeudi 2 juin 2011

Coup de folie

 
Si vous décidez de lire Sade, de Griffo et Dufaux (éditions Glénat, 1991, ISBN 2.7234.1296.2), en présupposant que les créateurs de Giacomo C. se penchent sur le Divin marquis comme ils se sont penchés sur le célèbre Vénitien, vous risquez d’être surpris. Peut-être même désagréablement surpris. Parce que ce Sade est à des lieues des récits vénitiens auquel ce duo a habitué ses lecteurs.



À quoi fut-il donc s’attendre au moment de se plonger dans ce Sade ? À rien. Ou à tout. Il faut surtout accepter d’être conduit dans un labyrinthe de l’esprit, dans des jeux où se mêlent les pensées de Sade et celles de ses personnages. Sade-auteur, Sade personnage de ses propres écrits, Sade-personnage qui écrit, à son tour, et fait vivre ses rêves, ses fantasmes, ses hantises. Le lecteur est alors un funambule qui marche sur le fil entre raison et folie, entre réalité et rêve ou cauchemar. Sade-auteur et Sade-personnage bousculent l’ordre établi, se heurtent à ce nouvel ordre post-révolutionnaire, cette nouvelle « pensée unique ». Le Régime a changé, mais on ne peut laisser le peuple penser par lui-même. Alors, on ne peut laisser Sade écrire ce qu’il écrit, on ne peut laisser ses manuscrits sortir de sa cellule de Charenton, maison de folie plus que maison de fous. Les censeurs prennent même le soin de détruire tout portrait de Sade.
Pourtant, dans cet asile, on tient spectacle ! Le directeur de Charenton a fait bâtir un théâtre, où des « VIP » sains d’esprits viennent voir des pièces de théâtres écrites par Sade et dont la troupe qui les joue mêle des acteurs professionnels et des « résidents » de l’asile. Qui pourrait alors se prévaloir de savoir dessiner clairement la frontière entre fous et « normaux », entre folie et raison ? Très probablement pas le lecteur de ce Sade, lui-même bousculé par les différents plans du récit qui s’entremêlent.




Si Sade ne sortira pas vivant de cet asile, et si aucun portrait authentifié de lui n’arrivera jusqu’à nous, ses œuvres ont traversé les époques et vaincu ses censeurs. Griffo et Dufaux, dans cette BD à tout le moins déroutante, n’ont pas cherché à brosser un portrait historique de Sade, ils l’écrivent eux-même dans leur préface. Ils ont plutôt dessiné un labyrinthe dans lequel ils invitent le lecteur à se perdre. On peut alors comprendre que certaines critiques publiées sur le net fassent état de cette incompréhension face à un récit touffu, à plusieurs plans imbriqués. Être perdu dans une lecture peut se révéler particulièrement désagréable. Pour ma part, j’ai pris plaisir à errer dans ce labyrinthe. À vous de voir si vous voulez tenter l’aventure.

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