lundi 27 décembre 2010

Un crépuscule interrompu

 
Avec un rythme de parution qui est généralement d’un volume par an, une série de bande dessinée peut tenir son lecteur en haleine sur longue période. Et lorsque certains tomes se font attendre plus que de raison, l’impatience qui meuble habituellement l’attente se transforme en lassitude, en grogne, ou en dédain.
Que dire, alors, si la suite ne vient jamais ? Faut-il pester contre l’auteur fainéant ? Contre l’éditeur qui craint de prendre des risques ? Contre ceux qui n’ont pas acheté les premiers tomes au point que publier la suite n’était pas rentable pour l’éditeur ? Harceler le dessinateur ou le scénariste pour qu’il nous raconte au moins la fin de l’histoire, même sous forme d’un texte télégraphique, d’un scénario griffonné ? La suite, merde, LA SUITE !

Hum...
Respirons lentement, buvons frais.
Voilà, c’est déjà mieux.

Mais, quand même… Merde !

Après tout, rien ne m’oblige à faire semblant d’apprécier la frustration. Les papes vantent les mérites du coitus interruptus, mais, n’étant pas papiste, je m’accorde le droit de n’y trouver aucun plaisir, même pas quand l’affaire s’était engagée entre gens de talent et de bonne compagnie. En l’occurrence, c’est Stephen Desberg (scénario) et Henri Reculé (dessin) qui m’ont frustré aux deux tiers de la trilogie du Crépuscule des anges (éditions Casterman, 2 tomes, 1998 et 1999). Vous conviendrez qu’une trilogie dont on ne publie que deux tomes, ça tient de la promesse mensongère, de l’interruption fâcheuse. On peut même en venir à se dire qu’il aurait mieux valu ne pas lire du tout les deux premiers tomes, plutôt que d’être ainsi abandonné en plein plaisir. Desberg et Reculé, un duo d’« allumeurs papistes » ? Ah, la frustration m’égare, j’en tombe dans les attaques personnelles.
 
 

Il faut dire que j’ai apprécié les deux premier tomes, Poppéa (1998, ISBN 2-203-38917-6) et Le Maestro (1999, ISBN 2-203-38923-0). J’aime la finesse du trait de Reculé, ses mises en couleurs sombres dans les ombres et chaudes dans les lumières, la variété des plans et des angles de vue. Quant à l’histoire tissée par Desberg, elle contient ce qu’il faut de sentiments humains forts, l’espoir et le désespoir, la jalousie, l’envie, la force et la faiblesse pour que l’on s’attache au récit comme aux personnages.
 
 

Je me suis donc attaché à l’histoire de Poppéa, jeune cantatrice qui rêve qu’on lui accorde un premier rôle dans un des opéras du Mozart, comme ce Don Giovanni qui triomphe dans les théâtres. Est-elle trop rêveuse, pas assez armée pour affronter la cruauté du monde du théâtre, les appétits charnels et violents des hommes ? Pourra-t-elle trouver, de retour dans sa Toscane natale, auprès de son père, les conseils et les ressources intérieures qui feront d’elle une cantatrice capable d’habiter ses rôles ? Et quel est donc ce noir secret de famille qui… ?
Qui quoi ?
Eh bien, vous ne le saurez pas.
Non que je veuille garder ce secret pour moi. Mais parce qu’en l’entrevoyant, il vous tardera de savoir la suite. Et la suite, il n’y en a pas. Fichu troisième tome jamais publié !
 


Le duo Desberg et Reculé n’a pas abandonné ce Crépuscule des anges pour cause de séparation ; en effet, ces deux complices ont publié, par la suite, d’autres séries, comme Le cercle des sentinelles (1998-2000) ou Cassio (en cours depuis 2007). Mais je crains que cette trilogie dix-huitièmiste ne reste un concerto à jamais inachevé.

Pour la petite histoire : Desberg a mis ses talents de scénaristes au service d’une autre série d’inspiration très dix-huitièmiste, même si ce n’est pas directement « notre » dix-huitième siècle : la série best-seller Le scorpion, avec le très talentueux Marini. C’est d’ailleurs à Marini que Desberg avait tout d’abord proposé son scénario du Crépuscule des anges (source : une interview de Desberg pour ActuaBD).
 
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