Il y a des gens qu’un séjour en prison pousse à écrire. Pour John Cleland, ce sont les dettes qui l’on conduit à être enfermé dans la célèbre prison londonienne des bords de la rivière Fleet en 1748. Et ce séjour ne lui a pas inspiré des pages autobiographiques, ou un pamphlet contre l’horreur des geôles anglaises. Non. Il y a écrit Memoirs of a Woman of Pleasure / La fille de Joye (puis Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, un ouvrage qui lui a valu presque immédiatement, comme à son éditeur et son imprimeur, un procès et une interdiction d’être publié dans son intégralité. L’interdiction a duré plus de deux siècles (la version non censurée ne sera autorisée qu’en 1970 au Royaume-Uni !), mais, en parallèle de l’édition expurgée autorisée, des versions intégrales se sont vendues sous le manteau.
(source : Libraire ancienne L'autre monde)
Comme quoi, une
carrière dans la Compagnie britannique des Indes orientales –
l’East India Company, que d’aucuns qualifiaient d’Honorable –
et un séjour à Bombay, de 1728 à 1740, peuvent ouvrir la vie d’un
homme sur des horizons particulièrement inattendus. Y compris des
horizons peu honorables aux yeux de certains de ses contemporains.
Les écrits de
Cleland qui suivirent ces mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir,
sont tombés dans l’oubli. Qui oserait, en effet, prétendre qu’il
se souvient de ses pièces (jamais produites, il est vrai) comme sa
tragédie Titus Vespasian,
de son roman The Woman of Honour,
ou de ses divers travaux philologiques ou poétiques ? Une œuvre
pour laquelle la Couronne lui versait une pension annuelle de cent
livres en échange de laquelle il s’était engagé à ne plus rien
écrire d’obscène. Cent livres annuelles en salaire de l’oubli.
Mais Fanny Hill
ou les mémoires d’une femme de plaisir ont survécu à ce salaire
de la censure.
La Fanny de John
Cleland est bien loin de la Fanny de Marcel Pagnol. Roman
d’initiation, miroir probable des fantasmes de son auteur, portrait
cru et, parfois, non dénué d’un humour peut-être involontaire,
ces Mémoires d’une femme de plaisir peignent le chemin qui conduit
la petite orpheline jusqu’à son élévation sociale en passant par
les lits de bordels et des gentlemen. Un récit qui mêle les
confessions de Fanny Hill (c’est elle dont Cleland a fait la
narratrice) et celles de ses compagnes aux plaisirs tarifés, sur un
ton le plus souvent clinique, sans jugement moral sur soi-même ou
les autres, dans un contraste de naïveté et de savoir-faire envers
les hommes, tant sur leur corps que sur leur esprit.
Le portrait que
brosse, par les mots de Cleland, Fanny Hill des maquerelles qui
« l’éduquent » est assez surprenant, parfois
préceptrices, parfois professeurs de vertu ou, à tout le moins, de
savoir-être, jamais vraiment répugnantes. Le cheminement de Fanny
Hill, d’ailleurs, même s’il passe par des voies qu’elle n’a
pas vraiment choisies, n’est pas une descente aux enfers comme on
peut en trouver chez Sade. Même les clients de Fanny Hill et de ses
« collègues » semblent se cantonner à des désirs et
des pratiques assez communes. Il semble pourtant, au détour de
certaines scènes, comme les dépucelages « difficiles »
de Fanny ou de ces collègues, qu’une pointe de sadisme – certes,
contenue – n’est pas tout à fait absente des pensées
fantasmatiques de l’auteur, même si elle ne transparaît pas dans
ses mots.
Même
l’environnement dans lequel progresse Fanny Hill est loin d’être
sordide. Ainsi, ses appartements successifs, un peu moins modestes
chaque fois que sa petite fortune augmente.
Quant à la fin
du livre, comment la qualifier autrement que de fin heureuse, le
genre de happy end si cher aux scénaristes convenus d’Hollywood ?
Fanny Hill retrouve son premier amant, l’épouse, et fonde avec lui
une famille nombreuse et heureuse !
John Cleland se
révèle donc plutôt un « peintre » libertin et, à sa
manière, élégant, qu’un pornographe de la déchéance. Il peint
riches et pauvres dans leurs comportements, leurs soupers, leurs
vêtements, avec un souci du détail qui n’est pas sans rappeler
les scènes de Hogarth.
Je ne saurais dire, en revanche, si Cleland est un
bon peintre du désir féminin. J’imagine sans mal que prêter ses
mots à une narratrice est, pour un auteur masculin, un exercice
périlleux ; et que le péril n’en est que plus grand dans le
cas d’un roman libertin, quand il s’agit d’évoquer, sans
détour, les désirs et plaisirs des femmes, vu de l’intérieur, si
j’ose dire. Un avis de lectrice(s) serait donc le bienvenu, en
contrepoint du mien !
* * * * *
Au fil du temps, ce roman a fait l’objet de
nombreuses éditions, avec ou sans illustrations. Parmi les éditions
« récentes » (récentes, au moins, par rapport à
l’édition originale), certaines ont reçu des illustrations de
couverture d’assez bon aloi, et d’autres ont plutôt sombré dans
le graveleux.
La plus
élégante me semble être celle chez Actes Sud, collection Babel (la première dans ce billet).
* * * * *
Ces Memoirs of a Woman of Pleasure
ont fait l’objet de plusieurs adaptations au cinéma, à la
télévision et en bande dessinée. Je dis quelques mots de
certaines d’entre elles dans un billet ciné-télé et dans un billet BD.
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Défis. Ce billet répond aux défis suivants :
2 commentaires:
Possibilité de jeu de rôle / campagne échelle escarmouches ('Gloire', Sharpe's practice', 'Colonial Gothic'...) : je viens de découvrir avec amusement qie Fanny Hill faisait partie de la Fraternité Lemuel Gulliver, la "Ligue des Gentlemen Extraordinaires" du XVIIIème siècle ^-^
Voilà qui est original !
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