Faute
d’avoir en
avoir beaucoup entendu parler avant d’en trouver une édition (Tchou
Editeur, 1966, non illustrée) à petit prix chez un bouquiniste,
j’ignorais que la
trilogie des Amours du chevalier de Faublas – Une
année de la vie du chevalier de Faublas (1787 ;
5 parties), Six semaines de la vie du chevalier de Faublas
(1788 ; 8 parties) et Fin des amours du chevalier de Faublas
(1790 ; 6 parties) – se rattachait au genre littéraire dit
libertin.
Plusieurs centaines
de pages plus loin (une édition Gallimard en compte plus de mille),
je ressors de cette aventure née sous la plume de Jean-Baptiste
Louvet, dit Louvet de Couvray, sous le coup d’une sympathique
découverte : une sorte de croisement survolté entre deux
genres littéraires qui naîtront pourtant plus tard, le
roman-feuilleton et le théâtre de vaudeville, croisement lui-même
percuté par des tribulations que n’auraient reniées ni Casanova
ni le chevalier d’Éon. Le tout écrit par un auteur qui est aussi
un homme politique, plutôt « girondin » aux temps
révolutionnaires et même accusateur de Robespierre, ce qui n’est
pas rien en 1792...), et publié de part et d’autre de la fin de
« l’Ancien régime ».
Il est d’ailleurs
un peu étonnant que ce roman en trois parties ait eu du succès,
pour autant que j’ai pu le lire dans divers articles, aussi bien
avant qu’après le déclenchement de la Révolution, et tant dans
un camp que dans l’autre.
Ce chevalier de
Faublas est un personnage qui attire la sympathie. On sourit de la
voir si naïf, écartelé entre son amour pour une jeune fille bien
sous tous rapports et le tourbillon de tentations féminines qui le
bousculent et auxquelles il ne sait que céder. Il est également
sympathique parce que, contrairement à d’autres « héros »
de romans libertins, il n’est pas celui qui séduit les femmes
parce qu’il les méprise, ou parce qu’il veut leur imposer son
pouvoir, ou parce qu’elles l’aideront à monter les marches
casse-gueule d’un escalier social bancal. D’ailleurs, il n’est
pas vraiment un séducteur ; plutôt un amant opportuniste, qui
profite de ce qui se présente sans penser à demain, ni même à
tout à l’heure. Un libertin picaresque, en quelque sorte.
Le ton de ce roman est léger, sans pornographie
prononcée, et avec des scènes qui ne manquent pas de cocasse et me
font penser au théâtre de boulevard (ainsi, lorsque le mari lutine
une servante sur le lit de la chambre, alors que son épouse s’est
cachée dans le placard de ladite chambre avec son amant !).
Passages secrets, lits à ressort, duels, travestissements du
chevalier en femme, amant caché derrière le rideau, liaisons nobles
et ancillaires, enlèvements et libérations, rendez-vous galants
dans les jardins de couvent, relations un tantinet inextricables
entre les protagonistes (je reconnais avoir parfois perdu le fil du
« qui est qui ? »), le plaisir du rythme l’emporte
largement sur le réalisme. C’est comme du Casanova, mais en plus
« gros » !
Si ce ton et ce rythme ne m’ont pas
particulièrement surpris (même si je les associais plutôt, a
priori, à Dumas ou Zevaco, quelques décennies plus tard), ce qui
n’a pas manqué de me surprendre est la présentation des dialogues
sous deux formes : parfois, ils sont portés au fil du texte, et
parfois ils sont présentés comme dans une pièce de théâtre.
Le comte est ici, le baron doit y venir ; s’ils se rencontrent, ils peuvent avoir une explication dont vous devez redouter les suites. – Vous avez raison ; mais quel parti prendre ? – Faire dire à M. de Faublas de ne pas venir. – Ah!Je suis bien aise de le voir et de lui parler. – Cependant, je prendrai la liberté de vous représenter…
LE COMTE, en entrant.Où est donc le vicomte ?
LA COMTESSE.Chut !
LE COMTE.Plaît-il ?
LA COMTESSE.Taisez-vous !
LA BARONNE, regardant Mme de Lignolle d’un air étonné.Est-ce que je vous dérange, comtesse ?
LA COMTESSE.Point du tout.
Comparaison n’est pas raison, mais cette
présentation si spécifique de quelques dialogues me fait penser aux
longues scènes sans paroles, mais soutenues musicalement, dans les
westerns de Sergio Leone, avant que les colts ne crachent leur déluge
de plomb, ou les ralentis dans certains films de John Woo. Ces
dialogues théâtralisés suspendent, ralentissement, momentanément
le fil du récit, et ils n’en prennent que plus d’importance.
Incapable de se séparer de ses amantes –
contrairement aux libertins cyniques, qui se débarrasse de l’une
pour profiter de l’autre –, Faublas se prend lui-même dans une
toile où il s’épuise à passer de l’une à l’autre, sans
provoquer la salvatrice rupture. Et, malgré la légèreté générale
du ton des aventures, la gravité n’est pas loin :
l’insouciance se heurte aux conventions sociales, la séduction à
l’inégalité des sexes, l’excès des sens à la perte de
l’esprit.
La troisième partie s’achève sur une vingtaine
de pages d’échanges de correspondance entre quelques personnages
de premier plan, clin d’œil à ce genre bien en vogue qu’était
le roman épistolaire, et au plus célèbre des romans épistolaires
libertins, Les liaisons dangereuses. Mais ces lettres
échangées, comme un commentaire en voix off pour l’épilogue d’un
film, induisent une nouvelle distance : alors que le reste du
roman est un récit par le chevalier à la première personne, cette
correspondance donne la parole aux principaux protagonistes : on
y apprend que Faublas a été interné « dans une maison de
Picpus, où l’on traite les insensés », puis les épisodes
qui suivront, jusqu’à son exil en Pologne.
Mais non, Sophie me reste. Loin de me plaindre, enviez mon sort, et dites seulement que pour les hommes ardents et sensibles, abandonnés dans leur première jeunesse aux orages des passions, il n’y a plus jamais de parfait bonheur sur la terre.
FIN
* * * * *
Défis. Ce billet répond au défi suivant :
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