vendredi 23 août 2013

De la frivolité à la folie

Faute d’avoir en avoir beaucoup entendu parler avant d’en trouver une édition (Tchou Editeur, 1966, non illustrée) à petit prix chez un bouquiniste, j’ignorais que la trilogie des Amours du chevalier de FaublasUne année de la vie du chevalier de Faublas (1787 ; 5 parties), Six semaines de la vie du chevalier de Faublas (1788 ; 8 parties) et Fin des amours du chevalier de Faublas (1790 ; 6 parties) – se rattachait au genre littéraire dit libertin.


Plusieurs centaines de pages plus loin (une édition Gallimard en compte plus de mille), je ressors de cette aventure née sous la plume de Jean-Baptiste Louvet, dit Louvet de Couvray, sous le coup d’une sympathique découverte : une sorte de croisement survolté entre deux genres littéraires qui naîtront pourtant plus tard, le roman-feuilleton et le théâtre de vaudeville, croisement lui-même percuté par des tribulations que n’auraient reniées ni Casanova ni le chevalier d’Éon. Le tout écrit par un auteur qui est aussi un homme politique, plutôt « girondin » aux temps révolutionnaires et même accusateur de Robespierre, ce qui n’est pas rien en 1792...), et publié de part et d’autre de la fin de « l’Ancien régime ».



Il est d’ailleurs un peu étonnant que ce roman en trois parties ait eu du succès, pour autant que j’ai pu le lire dans divers articles, aussi bien avant qu’après le déclenchement de la Révolution, et tant dans un camp que dans l’autre.

Ce chevalier de Faublas est un personnage qui attire la sympathie. On sourit de la voir si naïf, écartelé entre son amour pour une jeune fille bien sous tous rapports et le tourbillon de tentations féminines qui le bousculent et auxquelles il ne sait que céder. Il est également sympathique parce que, contrairement à d’autres « héros » de romans libertins, il n’est pas celui qui séduit les femmes parce qu’il les méprise, ou parce qu’il veut leur imposer son pouvoir, ou parce qu’elles l’aideront à monter les marches casse-gueule d’un escalier social bancal. D’ailleurs, il n’est pas vraiment un séducteur ; plutôt un amant opportuniste, qui profite de ce qui se présente sans penser à demain, ni même à tout à l’heure. Un libertin picaresque, en quelque sorte.


Le ton de ce roman est léger, sans pornographie prononcée, et avec des scènes qui ne manquent pas de cocasse et me font penser au théâtre de boulevard (ainsi, lorsque le mari lutine une servante sur le lit de la chambre, alors que son épouse s’est cachée dans le placard de ladite chambre avec son amant !). Passages secrets, lits à ressort, duels, travestissements du chevalier en femme, amant caché derrière le rideau, liaisons nobles et ancillaires, enlèvements et libérations, rendez-vous galants dans les jardins de couvent, relations un tantinet inextricables entre les protagonistes (je reconnais avoir parfois perdu le fil du « qui est qui ? »), le plaisir du rythme l’emporte largement sur le réalisme. C’est comme du Casanova, mais en plus « gros » !


Si ce ton et ce rythme ne m’ont pas particulièrement surpris (même si je les associais plutôt, a priori, à Dumas ou Zevaco, quelques décennies plus tard), ce qui n’a pas manqué de me surprendre est la présentation des dialogues sous deux formes : parfois, ils sont portés au fil du texte, et parfois ils sont présentés comme dans une pièce de théâtre.

Le comte est ici, le baron doit y venir ; s’ils se rencontrent, ils peuvent avoir une explication dont vous devez redouter les suites. – Vous avez raison ; mais quel parti prendre ? – Faire dire à M. de Faublas de ne pas venir. – Ah!Je suis bien aise de le voir et de lui parler. – Cependant, je prendrai la liberté de vous représenter… 


LE COMTE, en entrant.
Où est donc le vicomte ?

LA COMTESSE.
Chut !

LE COMTE.
Plaît-il ?

LA COMTESSE.
Taisez-vous !

LA BARONNE, regardant Mme de Lignolle d’un air étonné.
Est-ce que je vous dérange, comtesse ?

LA COMTESSE.
Point du tout.

Comparaison n’est pas raison, mais cette présentation si spécifique de quelques dialogues me fait penser aux longues scènes sans paroles, mais soutenues musicalement, dans les westerns de Sergio Leone, avant que les colts ne crachent leur déluge de plomb, ou les ralentis dans certains films de John Woo. Ces dialogues théâtralisés suspendent, ralentissement, momentanément le fil du récit, et ils n’en prennent que plus d’importance.



Incapable de se séparer de ses amantes – contrairement aux libertins cyniques, qui se débarrasse de l’une pour profiter de l’autre –, Faublas se prend lui-même dans une toile où il s’épuise à passer de l’une à l’autre, sans provoquer la salvatrice rupture. Et, malgré la légèreté générale du ton des aventures, la gravité n’est pas loin : l’insouciance se heurte aux conventions sociales, la séduction à l’inégalité des sexes, l’excès des sens à la perte de l’esprit.

La troisième partie s’achève sur une vingtaine de pages d’échanges de correspondance entre quelques personnages de premier plan, clin d’œil à ce genre bien en vogue qu’était le roman épistolaire, et au plus célèbre des romans épistolaires libertins, Les liaisons dangereuses. Mais ces lettres échangées, comme un commentaire en voix off pour l’épilogue d’un film, induisent une nouvelle distance : alors que le reste du roman est un récit par le chevalier à la première personne, cette correspondance donne la parole aux principaux protagonistes : on y apprend que Faublas a été interné « dans une maison de Picpus, où l’on traite les insensés », puis les épisodes qui suivront, jusqu’à son exil en Pologne.

Mais non, Sophie me reste. Loin de me plaindre, enviez mon sort, et dites seulement que pour les hommes ardents et sensibles, abandonnés dans leur première jeunesse aux orages des passions, il n’y a plus jamais de parfait bonheur sur la terre.

FIN




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