Les gentlemen de la nuit, de Béatrice Nicomède (éditions Gulf Stream, collection Courants Noirs, 2010, ISBN 978-2-35488-076-7) a un petit goût de Moonfleet. Pour ne pas y trouver ce goût, je crois qu’il faudrait être totalement ignorant de ce roman de Falkner ou du film que Fritz Lang en a tiré. Ou même, puisque Les gentlemen de la nuit s’adressent surtout à un public adolescent, n’avoir pas non plus lu l’adaptation de Moonfleet en BD par Rodolphe et Hé. Quoi qu’il en soit, ne connaître ni le roman ni le film ni la BD ne serait un crime : en regardant cela de manière optimiste, ce serait même l’occasion de découvrir ces trois œuvres qui valent, chacune d’entre elles à sa manière, le détour.
Mais j’en reviens aux Gentlemen de la nuit. Difficile pour moi, disais-je, de ne pas y retrouver le parfum de Moonfleet : des côtes anglaises un peu sauvages (ici, celles de l’île de Wight) à la fin du XVIIIe siècle, des îliens que la pauvreté accule à la contrebande maritime, des cachettes dans des grottes et sous des cimetières, des tonneaux d’eau-de-vie et des coffres de dentelles, des jeux de chats et de souris entre contrebandiers et douaniers dans des nuits de plus ou moins de lune, et des adolescents pris dans les affaires des adultes.
Pourtant Béatrice Nicodème ne tombe pas dans le plagiat. Par-delà l’intrigue un peu classique, elle apporte sa touche personnelle, creusant les portraits de ses personnages, leurs faces claires comme leurs faces sombres. L’ennemi le plus dangereux des contrebandiers n’est pas ici, le douanier, mais le mal insidieux qui s’est glissé au sein de l’un de leurs groupes.
Même si l’ombre de Moonfleet pèsera longtemps sur tout roman qui racontera des histoires de contrebandiers maritimes au XVIIIe siècle, aucune plume ne devrait s’interdire de s’aventurer dans ce thème-là. Après tout, bien des auteurs se sont permis d’écrire des romans de mousquetaires et spadassins après Alexandre Dumas père, et certains ont brillé dans ce genre. Alors, quand un roman lance un clin d'œil à Moonfleet tout en y apportant une touche personnelle, autant le saluer pour ses mérites propres, et Les gentlemen de la nuit n’en manquent pas.
J’ai lu ce roman avec mes yeux et mon esprit d’adulte, mais je pense qu’outre ces aspects historique et « policier », ce roman peut offrir à des adolescents des sujets de réflexion intéressants, comme la complexité des relations d’amour et de haine entre deux mêmes personnes, le mur de silence derrière lequel un père cache à son fils les raisons et circonstances du décès de sa mère, ou encore les privautés que s’autorisent les hommes mûrs sur les jeunes femmes qui sont en leur pouvoir pour des raisons de mariage ou d’emploi.
Après ce coup de tricorne à l’auteur, le coup de griffe (presque de gueule) à l’éditeur : quel est la personne inconséquente qui a rédigé la quatrième de couverture de ce livre ? Le vrai traître, ou la vraie traîtresse, des contrebandiers, c’est cette personne-là, qui dévoile, dans le texte de présentation du roman, les deux-tiers de l’intrigue ! J’applaudirai des deux mains si cette personne est démasquée et balancée à la mer pour que les flots et les crabes lui fassent un sort funeste. La peste soit des inconséquents qui privent les lecteurs d’une grande partie du plaisir de leur lecture.
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