lundi 24 janvier 2011

Idoménée ou Mozart se libère

J’ouvre ma participation au Défi XVIIIe avec le premier billet d’une série de cinq qui auront pour point commun l’année 1781. Pourquoi cette année-là plutôt qu’une autre ? Parce que j’avais envie en tête de consacrer un billet à l’épopée navale de Suffren aux Indes et à la bataille de Yorktown, l’un des tournants de la guerre d’indépendance des États-Unis, deux moments de l’année 1781. Il me restait à trouver trois autres sujets sur l’année 1781 pour fixer mon objectif pour le Défi. J’avais envie d’explorer d’autres pans dix-huitiméistes à cette occasion, par exemple dans le domaine des sciences et celui de la musique.


Or je viens de lire un dossier sur les opéras de Mozart dans le dernier numéro en date de la revue Diapason (n°587, janvier 20100). Et cela m’a amené à m’intéresser à Idomeneo, rè di Creta (Idomenée, roi de Crète), un opéra que je n’avais jamais écouté jusque-là, et dont il se trouve que la première a été donnée en janvier 1781, alors que Mozart avait vingt-cinq ans (et deux jours, pour les amateurs de précision !).


Bon, autant le dire, je n’avais pas vraiment de souvenir du mythe d’Idoménée, et il m’a fallu remettre le nez dans un livre pour me rafraîchir la mémoire : une tragique histoire d’un père obligé de tuer son fils pour tenir une promesse faite à un dieu en échange de son aide. En revanche, je me rappelais que cet opéra s’était retrouvé sous les feux de l’actualité lorsque ses représentations au théâtre de l’Opéra de Berlin avaient été annulées du fait de menaces ; mais je reconnais que je n’avais pas fouillé le sujet à l’époque, et n’en avais donc gardé que des éléments très superficiels.
Vérification faite, cette suspension des représentations, en septembre 2006, avait été décidée après des menaces de fondamentalistes religieux, jugeant outrageante la mise en scène de cet opéra par Hans Neuenfels. Celui-ci avait en effet inclus dans sa mise en scène les têtes coupées de Poséidon (le dieu dont Idoménée est le débiteur), de Bouddha, de Mahomet et de Jésus-Christ.
Je ne connais rien de cet Hans Neuenfels, et je ne me permettrai donc pas beaucoup de commentaires sur sa mise en scène de cet opéra que je n’ai pas vue. Je me contenterai de dire que mettre sur dans le même plat de têtes coupées celles d’un dieu, de deux prophètes, et d’un « éveillé », c’est un drôle de mélange des genres, et j’ai du mal à en comprendre le message : s’il s’agit de tuer des dieux pour s’en libérer, alors autant décapiter des dieux, et pas des prophètes.
Je ne suis pas friand des metteurs en scène qui tiennent absolument à tout bousculer d’une œuvre, pour la rendre contemporaine, ou intemporelle ; certains y réussissent très bien, d’autres n’aboutissent qu’à quelque chose d’artificiel qui fait perdre l’essence de l'œuvre originelle. Mais, d’un autre côté, je tiens en profonde détestation les sectateurs de toutes religions, et leurs menaces de censeurs.

Mais revenons-en à l’opéra lui-même. Je n’ai aucune la prétention de m’en faire une idée rien qu’en lisant la partition et le livret. Je m’en remets donc, pour aller à la découverte de cette œuvre, à l’écoute d’un enregistrement et de quelques lectures au sujet de cet opéra, dont le numéro de la revue Diapason que j’ai indiqué plus haut.

Pour ce que j’en ai lu, Idomeneo , pièce de commande pour le carnaval de Munich, marque la charnière entre les opéras « de jeunesse » de Mozart, et la série de ses chefs-d’œuvre : les deux opéras « sérieux », Idoménée et L’enlèvement au sérail, puis les trois comédies, Les noces de Figaro, Don Giovanni, et Cosi fan tutte, et enfin les deux autres opéras « sérieux », La clémence de Titus et La flûte enchantée. C’est aussi après Idoménée que Mozart quitte Salzbourg pour Vienne, son père et l’archevêque pour l’empereur ; c’est peut-être de la philosophie de comptoir, mais je me laisse aller à penser que Mozart a peut-être trouvé dans cet Idomeneo un écho au changement de sa propre situation. Mozart se libère des murs de la famille, secoue le joug de ce protecteur-tyran qu’était l’archevêque, et prend en main la création de l’opéra, ferraillant avec l’auteur du livret, Giambattista Varesco (à défaut d’affronter directement l’archevêque, Mozart s’en prend au chapelain de sa cour ?), pour ne pas se laisser imposer ses vues.

Opéra de commande, certes, mais œuvre personnelle ! Mozart trace son propre chemin, entre les lignes de l’opera seria à l’italienne et de la tragédie lyrique à la française, apportant un souffle particulier. Évidemment, c’est tragique, dramatique, et donc, parfois, un peu pompeux pour moi, qui préfère les ambiances plus légères. Mais c’est tout de même déjà du Mozart.


Il va me falloir plusieurs écoutes de cet opéra pour en découvrir les richesses, les subtilités, m’en faire une opinion plus élaborée. Tendre l’oreille, aussi, vers des interprétations différentes, pour découvrir comment différents chefs, différents chanteurs, différents orchestres se le sont approprié.
Pour l’instant, j’ai fait confiance à des critiques trouvées dans des magazines et sur le net, pour mes premières écoutes :
- la version sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, enregistrée en 1980 pour Tedec, et que j’ai écoutée dans une réédition de 2005 chez Warner Classics ;
- celle sous la direction de René Jacobs, chez harmonia mundi , 2009, HMC902036.38



Je laisserai tomber le rideau sur cet Idomeneo de Mozart en levant un autre rideau, pour dévoiler l’écran où se projette le Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick. En effet, si l’on retient le plus souvent, dans la partie musicale de ce film, l’entêtante Sarabande de Haendel, c’est bien la Marche de cet Idomoneo qui accompagne l’entrée de Redmond Barry dans le grand monde.


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Éclairage complémentaire : Avec Mozart, un parcours à travers ses grands opéras, de Claire Coleman et Fernando Ortega (éditions Lethielleux, 2010, ISBN 978-2-249-62055-3).




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Pour le complément dix-huitiméiste, je signale que ce mythe d’Idoménée a également inspiré :
- Idoménée, tragédie en cinq actes et en vers de Crébillon père (1705) ;
- Idoménée, tragédie en musique d'André Campra sur un livret d'Antoine Danchet (1712).

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